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Livret ouvrier d'un maçon creusois
 
Délivré le 9 frimaire an XIII (30 novembre 1804) à Joseph BOUDET (1753-1818)  

 

Le livret ouvrier a des racines anciennes. Une vieille règlementation imposait aux compagnons des métiers de se munir d'un congé écrit lorsqu'ils quittaient un maître pour être embauchés ailleurs. Le « billet de congé » est généralisé par les lettres patentes du 2 janvier 1749.
Le livret ouvrier fait sa première apparition le 17 août 1781, sous la pression des corporations et de la police. C'est un petit cahier qui identifie l'ouvrier, enregistre ses sorties et ses entrées chez ses maîtres successifs lors de leur tour de France.
Le livret est supprimé sous la révolution et rétabli par Napoléon en 1803.
Tout ouvrier voyageant sans livret est réputé vagabond et condamné comme tel. Il ne peut quitter un employeur qu'après que celui-ci eut signé un quitus sur le livret, la signature devant être certifiée par une autorité, et ne peut quitter une commune sans le visa du Maire ou de la Gendarmerie, avec indication du lieu de destination.
L'employeur doit inscrire sur le livret la date d'entrée dans l'entreprise puis la date de sortie, et indiquer que l'ouvrier le quitte libre de tout engagement.
La perte du Livret interdit de travailler et de quitter la commune du dernier domicile, jusqu'à obtention d'un nouveau livret.
Le livret concerne encore une fois les classes populaires, en plus du contrôle des déplacements, le livret sert aussi à contrôler la force de travail pour l'industrie.
Il ne fut supprimé qu'en 1890.

 


 


 

Arrêté du 9 frimaire an XII

TITRE I.er
Dispositions générales.

ART. I.er A compter de la publication du présent arrêté, tout ouvrier travaillant en qualité de compagnon ou garçon, devra se pourvoir d'un livret.

II. Ce livret sera sur papier libre, coté et paraphé sans frais, savoir : à Paris, Lyon et Marseille, par un commissaire de police ; et dans les autres villes, par le maire ou l'un de ses adjoints. Le premier feuillet portera le sceau de la municipalité, et contiendra le nom et le prénom de l'ouvrier, son âge, le lieu de sa naissance, son signalement, la désignation de sa profession, et le nom du maître chez lequel il travaille.

III. Indépendamment de l'exécution de la loi sur les passe-ports, l'ouvrier sera tenu de faire viser son dernier congé par le maire ou son adjoint, et de faire indiquer le lieu où il se propose de se rendre.
Tout ouvrier qui voyagerait sans être muni d'un livret ainsi visé, sera réputé vagabond, et pourra être arrêté et puni comme tel.

TITRE II.
De l'Inscription des Congés sur le Livret, et des Obligations imposées à cet égard aux Ouvriers et à ceux qui les emploient.

IV. Tout manufacturier, entrepreneur, et généralement toutes personnes employant des ouvriers, seront tenus, quand ces ouvriers sortiront de chez eux, d'inscrire sur leurs livrets un congé portant acquit de leurs engagements, s'ils les ont remplis.
Les congés seront inscrits sans lacune, à la suite les uns des autres ; ils énonceront le jour de la sortie de l'ouvrier.

V. L'ouvrier sera tenu de faire inscrire le jour de son entrée sur son livret, par le maître chez lequel il se propose de travailler, ou, à son défaut, par les fonctionnaires publics désignés en l'article 2, et sans frais, et de déposer le livret entre les mains de son maître, s'il l'exige.

VI. Si la personne qui a occupé l'ouvrier refuse, sans motif légitime, de remettre le livret ou de délivrer le congé, il sera procédé contre elle de la manière et suivant le mode établi par le titre 5 de la loi du 22 germinal. En cas de condamnation, les dommages-intérêts adjugés à l'ouvrier seront payés sur-le-champ.

VII. L'ouvrier qui aura reçu des avances sur son salaire, ou contracté l'engagement de travailler un certain temps, ne pourra exiger la remise de son livret et la délivrance de son congé, qu'après avoir acquitté sa dette par son travail et rempli ses engagements, si son maître l'exige.

VIII. S'il arrive que l'ouvrier soit obligé de se retirer, parce qu'on lui refuse du travail ou son salaire, son livret et son congé lui seront remis, encore qu'il n'ait pas remboursé les avances qui lui ont été faites : seulement le créancier aura le droit de mentionner la dette sur le livret.

IX. Dans le cas de l'article précédent, ceux qui emploieront ultérieurement l'ouvrier, feront, jusqu'à entière libération, sur le produit de son travail, une retenue au profit du créancier.
Cette retenue ne pourra, en aucun cas, excéder les deux dixièmes de salaire journalier de l'ouvrier : lorsque la dette sera acquittée, il en sera fait mention sur le livret.
Celui qui aura exercé la retenue, sera tenu d'en prévenir le maître au profit duquel elle aura été faite, et d'en tenir le montant à sa disposition.

X. Lorsque celui pour lequel l'ouvrier a travaillé, ne saura ou ne pourra écrire, ou lorsqu'il sera décédé, le congé sera délivré, après vérification, par le commissaire de police, le maire du lieu, ou l'un de ses adjoints, et sans frais.

TITRE III.
Des Formalités à remplir pour se procurer le Livret.

XI. Le premier livret d'un ouvrier lui sera expédié, 1° sur la présentation de son acquit d'apprentissage ; 2° ou sur la demande de la personne chez laquelle il aura travaillé ; 3° ou enfin sur l'affirmation de deux citoyens patentés de sa profession, et domiciliés, portant que le pétitionnaire est libre de tout engagement, soit pour raison d'apprentissage, soit pour raison d'obligation de travailler comme ouvrier.

XII. Lorsqu'un ouvrier voudra faire coter et parapher un nouveau livret, il représentera l'ancien. Le nouveau livret ne sera délivré qu'après qu'il aura été vérifié que l'ancien est rempli ou hors d'état de servir. Les mentions des dettes seront transportées de l'ancien livret sur le nouveau.

XIII. Si le livret de l'ouvrier était perdu, il pourra, sur la présentation de son passe-port en règle, obtenir la permission provisoire de travailler, mais sans pouvoir être autorisé à aller dans un autre lieu ; et à la charge de donner à l'officier de police du lieu, la preuve qu'il est libre de tout engagement, et tous les renseignements nécessaires pour autoriser la délivrance d'un nouveau livret, sans lequel il ne pourra partir.

XIV. Le grand-juge, ministre de la Justice, et le ministre de l'Intérieur, sont chargés de l'exécution du présent arrêté, qui sera inséré au bulletin des lois.

Le premier Consul, signé BONAPARTE.
Par le premier Consul,
Le Secrétaire-d'Etat, signé H. B. MARET.
Le Ministre de l'Intérieur, signé CHAPTAL.
Certifié conforme,
Le Grand-Juge, Ministre de la Justice,
Signé REGNIER.
Pour copie conforme,
Le Secrétaire-général, signé PIIS.